Découverte des collègues.

David observa un instant les lieux... C’était donc là qu’il allait être entraîné ? Le monde lui semblait totalement différent, comme si une part d’ombre s’était soudain retrouver à la lumière. Alors ainsi il y avait une organisation qui entraînait des civils à devenir des assassins ? Ca faisait très block buster américain. Mais est-ce qu’il pouvait vraiment espérer arriver à faire quoi que ce soit dans ce domaine ? Avait-il les tripes ? Aucune idée. Oui, il ne trouvait que ça à en dire, strictement aucune idée. Il n’avait jamais tenu une arme à feu pour tout dire alors tuer quelqu’un lui semblait quelque peu hors d’atteinte. Regardant toujours tranquillement le hall qui s’offrait à lui, il se permit bientôt de bouger en espérant trouver quelqu’un à qui parlait. Et par quelqu’un il entendait une personne qui ne serait pas un instructeur mais un "élève" tout comme lui. Oui, il avait envie de trouver quelqu’un de normal dans tout ceci histoire de pouvoir mieux se faire à cette nouvelle vie qui lui apparaissait. Il tentait de se faire discret, pas question d’avoir l’air d’un original dans une pareille situation, attirer l’attention des types qui rôdaient dans les parages.

Isabelle but à grandes gorgées lentes une bonne moitié de sa bouteille d'eau. Si elle avait été fumeuse -ce qu'elle s'était toujours interdit : une habitude qui révélait à la fois votre manque de confiance en vous et votre tension nerveuse était une mauvaise habitude- elle en aurait probablement été à son second paquet, tant elle se sentait stressée. Mais, vu qu'elle supposait quand même que l'envoyer sans plus de renseignements se paumer à travers les bâtiments constituait une sorte de test -enfin elle, c'est ce qu'elle aurait fait pour jauger les nouveaux arrivants- il était hors de question de commencer par donner une image d'elle qu'elle ne pourrait tolérer.

Elle jeta un regard circulaire autour d'elle à travers ses lunettes noires griffées : plusieurs personnes passaient, mais elles possédaient toutes la tranquille assurance de gens qui sont "chez eux". Elle aurait préféré trouver une nouvelle recrue, perdue comme elle, afin de profiter des renseignements que celle ci demanderait, sans devoir s'abaisser à le faire elle-même.

Son regard s'arrêta sur un jeune homme de son âge à peu près. Les cheveux châtains, une taille et une carrure raisonnables... Il semblait plus ou moins attendre quelque chose. Isabelle décida de tenter sa chance : elle se mit à marcher en direction du jeune homme, manifestement décidée à passer non loin de lui, quand sa bouteille d'eau lui échappa, et vint très opportunément rouler aux pieds de celui-ci.

Une bouteille d’eau qui roule, normal puisque ce genre de chose à des allures cylindriques. Autant dire que voir une bouteille roulée n’a rien de particulièrement intéressant, remonter les yeux jusqu’à la personne qui l’a laissée tomber l’est davantage. D’autant plus lorsque ladite personne correspond à peu de choses près à ce qu’on souhaite trouver… Enfin, oui, plus ou moins. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Ho… Il se souvenait bien avoir vu un film du nom de Nikita, mais de là à se retrouver face à une jeune femme à la silhouette fine dont le futur métier devrait être de… Dézinguer du pékin ! Il y avait un fossé non négligeable. Silencieusement il s’accroupit et se saisit de la bouteille qui avait roulé jusqu’à ses pieds, il se redressa ensuite et la tendit en direction de la jeune femme qui devait être tout comme lui une jeune recrue fraîchement découverte par les… Agents de… L’Agence. Il se permit même de faire un pas vers elle, signe de sa grande envie d’entamer une conversation avec la jeune personne qui lui faisait désormais face. Il en rajouta même, et oui, David alla jusqu’à prendre longuement la parole à l’attention de la belle brune :

"Nouvelle ?"

Isabelle tordit ses lèvres en un sourire un peu timide et angoissé. Laisser le jeune homme prendre le contrôle de la situation, voilà ce qu'il fallait arriver à faire. Elle lui répondit d'une voix douce :

- Oui, nouvelle... Je ne savais pas à quoi il fallait s'attendre, mais là c'est... terriblement impressionnant. Vous ne trouvez pas ?

Elle regarda autour d'elle d'un air désemparé avant de se retourner vers le jeune homme. Il semblait parfait. Le genre de gars à avoir bon fond. D'un autre côté... Si il était là, c'est bien parce que "quelque chose" clochait dans sa vie : on devenait pas apprenti-assassin sans raisons. Et que ce soient des raisons purement tangibles -le besoin d'argent, par exemple- ou d'autres plus... ésotériques -celui de dominer, par exemple toujours- elles existaient. Les découvrir risquait d'être passionnant... Et dangereux.
Follement excitant, quoi.

Le jeune homme observa tranquillement sa belle interlocutrice sans dire le moindre mot, de toute évidence celle-ci était tout aussi désorientée qu’il l’était. Elle lui répondit avec sur le visage une impression désemparée pour le moins attendrissante. Etait-elle véritablement une apprentie tout comme lui ? Etait-elle ici pour les mêmes raisons que lui ou allait elle intégré une autre partie de cette agence pour le moins particulière ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais une chose restait certaine présentement elle était face à lui et encline à lui parler. C’était ce qu’il recherchait. Il avait pensé trouver quelqu’un d’aussi perdu que lui, mieux encore, il avait trouvé quelqu’un qui l’était davantage. Il fallait dire quelque chose, mais ne pas paraître faible, non ne pas avoir l’air du type qu’il était vraiment. Il ne savait pas vraiment s’y prendre en matière de faux semblants… Enfin… Si, mais dans une autre atmosphère. Evolué dans le milieu de la nuit obligeait à un minimum de savoir-vivre, d’hypocrisie comme diraient d’autres. Oui, il fallait être gentil avec les bonnes personnes, surtout avec celles qui pouvaient possiblement laisser un pourboire. Il fallait être sur le qui-vive, prêt à sourire au bon moment pour obtenir quelques centimes d’euros, parfois même un petit billet… Lorsqu’il ne s’agissait pas d’une somme plus importante que la consommation qu’on venait d’emporter. Il se souvint alors l’homme qui l’avait "accroché", comme ils avaient dit par la suite… Il l’avait littéralement hameçonné avec l’argent. Oui, le besoin d’argent, l’insatisfaction personnelle, le fait d’être devenu moins que ce qu’on aurait voulu être à cause d’une décision toute personnelle, qui avait même était à l’encontre des conseils qu’on lui avait donné. Il était devenu une recrue de l’agence parce qu’il n’avait pas réussi à gagner sa vie autant qu’il le voulait sans ses études. David Clerc, assassin. Il avait encore du mal à l’imaginer, mais rien ne le répugner là-dedans… Finalement il savait quoi dire, ça lui vint naturellement, pas besoin de mentir, pas besoin de faux semblants, il suffisait de se focaliser sur un aspect de ses pensées :

"Je ne pense pas que tout ceci soit véritablement impressionnant… En comparaison de la perspective de tuer de sang froid. Car finalement c’est bien de cela dont il est question. Donner la mort, pour ne pas dire prendre la vie… Car il est toujours mieux vu de donner que de prendre dans une société où la propriété est sacrée."

A l’intérieur, dans son esprit, il se demandait un peu d’où lui venaient de pareilles pensées. Il n’avait jamais été un grand philosophe, ne s’était jamais vraiment intéressé à la condition humaine. Jusqu’à présent, car après tout, n’est-il pas normal de se poser quelques questions lorsqu’est venu le temps de savoir si l’on a ou pas la volonté de donner la mort pour n’obtenir que de l’argent. Concrètement qu’obtenait-on de plus lorsqu’on n’était pas obnubilé par la puissance des armes et le pouvoir de mettre fin à une vie ? De l’argent, simplement de l’argent… Mais de l’argent quand même ! Beaucoup, même… Et l’argent, c’était les possibilités, et les possibilités offraient l’espoir. N’était-il pas ici pour trouver l’espoir ? L’espoir d’une vie meilleure ? Allait-il tuer pour l’argent ou pour cet espoir ? Pourquoi ces pensées ? N’était-ce pas simplement des excuses qu’il tentait de se trouver ? Se focaliser sur la jeune femme qui lui faisait face était peut-être la seule chose à faire pour le moment. Se faire une alliée. Parce que ce serait difficile sans personne. Et peut-être bien qu’on allait l’obligeait à être seul, solitaire et sans attache. N’était-ce pas l’image que tout le monde donnait des assassins ? Des individus froids et sans relations sociales qui ne parlaient aux gens que pour les manipuler ou les menacer… Toujours la violence, de la violence partout, mais ne la trouvait-on pas un peu partout ? Aucune idée… C’était là la seule logique dans tout ça, pas d’idée, rien de probant, juste un fait, il allait apprendre à tuer. Quid de la suite ? Là n’était pas la question, pour le moment, il parlait à une jeune femme, voilà tout.

On pouvait voir la réflexion s'inscrire sur le visage du jeune homme. Il cherchait quelque chose à dire... Allait il chercher à l'impressionner ? A l'attendrir ? A lui faire peur ? Il choisit, de manière assez surprenante, d'être très "cash" et de rentrer immédiatement dans le vif du sujet : ce pour quoi ils étaient là...devenir des assassins professionnels et appointés. Peut être s'était elle trompée, peut être avait elle en face d'elle une part intégrante du test d'entrée, quelqu'un chargé de connaître ses motivations, ou au moins sa manière de les exposer à autrui... Isabelle prit une grande inspiration, et répondit d'une voix aussi douce que possible :

- Effectivement. Prendre la vie donne un aspect... résolument égoïste et personnel à notre... futur... métier. ... Or il me semble que nous devons nous garder de toute... implication personnelle dans le cadre de celui-ci. Nous ne devons pas être des assassins ordinaires, avec pour motivations la vengeance, la colère ou la folie, qui finissent généralement par vous faire repérer. Notre unique raison d'agir doit être de faire notre travail -quel qu'il soit- de la façon la plus efficace possible. Je ne sais pas vous, mais je ne compte pas passer des années derrière les barreaux !

Elle avait fini sa diatribe dans un sourire désarmant. La question du "pourquoi" accepter d'entrer dans cette organisation l'avait beaucoup turlupinée : une personne désirant connaître l'âme humaine en profondeur doit être capable d'utiliser ses connaissances sur elle-même... Et tant pis pour les éventuelles mauvaises surprises. Donc, en cherchant le "pourquoi" de son adhésion au principe même de l'Agence, elle était arrivée à la conclusion que tester ses capacités à comprendre et utiliser la psyché humaine l'intéressait plus que la moralité, ou ce type de choses. Était-elle anormale pour autant ? Sans doute pas tant que cela si on s'en référait au nombre impressionnant de personnes qu'elle avait croisées dans son périple au sein des locaux de l'Agence.

Au bout de ce laps de temps cependant, sa bonne éducation reprit le dessus -on ne met pas au rebut presque 20 ans de vigilance parentale- et elle tendit la main au jeune homme :

- Je m'appelle Isabelle.

En plus, cela contribuerait à la rendre sympathique et... légèrement décalée. Son vis à vis allait adorer être moins perturbé qu'elle.

Ne pas être celui qui tue, mais celui qui apporte la mort. Le but ne serait donc pas de devenir apte à mettre fin à une vie, mais d’être apte à le faire sans pour autant être animé d’intentions mauvaises. Le faire parce qu’on est un tueur professionnel, l’être parce qu’on l’a décidé. Au final leur réel métier n’était pas de tuer mais de le faire sans être obliger de se conduire comme des animaux, sans être motivés ni par la colère, ni par le désir. Peut-être était-ce ça que chercher leurs employeurs, non pas des psychopathes à formater mais bien des gens normaux à qui il fallait inculquer une nouvelle philosophie en quelque sorte. Rien n’avait finalement de sens intrinsèque, tout était flou. Oui, c’était un peu là que se trouvait ce qui lui permettait d’envisager une telle carrière. La logique floue, ni bien, ni mal, juste une neutralité anesthésiante. Pas besoin d’avoir de regret lorsque rien n’avait véritablement de sens, lorsque le bonheur des uns et des autres n’était finalement que très relatif.

Il l’observa un instant sans mot dire puis lui tendit la main à son tour, serrant délicatement cette fine poigne avec un soupçon d’appréhension. Pour le moment, il n’avait pas l’habitude de serrer la main des jeunes femmes, les rares fois où il avait eu à saluer aussi solennellement des membres de la gente féminines elles avaient eu un âge plus avancé et une allure plus austère. Ne risquait-il pas de faire mal à une si fragile demoiselle ? Il appliqua à peine sa force, presque mou dans sa façon de la saluer. Il redressa un peu la tête, la regardant dans les yeux en affichant un sourire qui n’avait rien de désarmant. En effet, il s’agissait plus d’une marque de jovialité que d’une réelle démonstration de calme. Non, David n’était pas agité, loin de là même, mais il ne pouvait se targuer d’être tout à fait sûr de sa personne. Que dire ? Que dire ? Ce sourire était bien utile, il l’utilisait à chaque fois qu’il était dans une pareille position. Généralement ça mettait son interlocutrice dans de bonnes dispositions pour lui laisser le temps de réfléchir. Devait-il lui donner son véritable nom ? Ne risquait-on pas de remonter à sa famille si jamais il ne veillait pas à employer un alias ? Et que se passerait-il si jamais il donnait son véritable prénom à quelqu’un qui venait de lui mentir. Ne serait-il pas en mauvaise posture ? Il n’était pas vraiment douer pour réfléchir et se précipita brusquement pour dire quelque chose en prenant conscience du temps qu’il avait mis à formuler sa réponse :

"Je… Heu… Enchanté Isabelle, moi c’est Da…" Un nom qui commence par Da ? "Daniel… Je, heu… En fait moi non plus j’espère ne pas finir en prison." Pouvais-tu trouver quelque chose de plus stupide à dire ? "Je ne suis pas là depuis… Très longtemps. Je commence juste. Je suis logé dans le dortoir des garçons." Tu as réussi… "Est-ce que tu sais si on est supposé faire quelque chose de particulier ?"