A la découverte de l'Agence

Un homme arriva bientôt dans les locaux de la section combat, disons plutôt qu’il y revint vu sa dégaine. Il portait simplement un bas de kimono ainsi que des tongs, laissant apercevoir les séquelles d’une vie de violence sur son torse. Il avait incrustée dans la chair de son torse nombre de tatouages et de cicatrices. On pouvait deviner sans peine des sévices menaient au cours des combats tout comme au cours de tortures. Il y avait quelque chose d’effroyable dans l’apparence de cette peau. Comme si la barbarie s’y était attachée comme une sorte de sangsue, suçant toute forme d’esthétisme pour ne laisser que de l’effroi. Le plus gros des tatouages correspondait à un tatou sur la tête duquel était posé un corbeau… Une marque pour le moins original qui donnait à ce corps un air d’autant plus macabre. Mais au-delà de tout ceci, le buste de ce trentenaire était tout ce qu’il y avait de plus exemplaire en matière de forme physique. Des abdominaux impeccablement dessinés, par une seule pointe de graisse et des bras aussi souples qu’épais.

On pouvait dire sans peine qu’il s’entraînait quotidiennement et c’était sans doute pour ça qu’il était ici. Déchaussant ses pieds avant de monter sur le tatami, il se tourna vers l’élève pour lui indiquer – pour ne pas dire ordonner – d’aller s’assoir en lui désignant un banc du doigt tout en plongeant son regard dans le sien. Il n’y avait pas la moindre forme d’hésitation à avoir étant donné ce regard. Il ordonnait à Michael d’aller s’installer, quand bien même celui-ci pouvait ne pas être là dans le but d’être entraîner, autant dire que l’Agence n’avait pas été des plus claires quant à tout ce que les instructeurs pouvaient faire subir à leurs recrues. Il y avait là un flou qui sous-entendait bien des possibilités. L’instructeur effectua une série de coups de poings et de coups de pieds avant de s’arrêter brusquement pour faire quelques mouvements savants qui voulaient sans doute symboliser des clefs ou des parades complexes qui, effectuaient de la sorte, ne donnaient l’impression que d’une forme très particulière d’art. Lorsque ses enchaînements se terminèrent, après une dizaine de minutes de pratique, il se redressa et marcha tranquillement en indiquant à Carlson de monter sur le tatami.

"Ton nom ?"

Un regard d’acier, un visage taillé dans le marbre. C’était avec une franche inexpressivité que l’instructeur observait son élève sans dire le moindre mot. Finalement il avança vers celui-ci jusqu’à ce qu’il ne soit plus distant que d’un mètre. Ses yeux scrutant paisiblement chaque trait facial du londonien qui se retrouvait incorporé en tant qu’apprenti assassin. Difficile de croire qu’il était là pour apprendre à tuer lorsqu’on voyait le manque évident de confiance qu’il avait face à un affrontement physique. Mais il était là pour apprendre après tout, il y avait bien des moyens d’apprendre et Burbank n’était pas le responsable de cette Section. C’était Kovec, un homme de loin plus expérimenté et plus impitoyable que le trentenaire aux cheveux châtains. Il ouvrit bientôt la bouche :

"Carlson ? Le nom de jeune fille de ta mère ? Ta ville de naissance ?"

Il approcha légèrement le buste pour plonger son regard directement dans celui de Michael… Il n’était en aucun cas d’un amusement, ça se voyait. L’air terrible que dégageait ce personnage était aussi effrayant que perturbant pour l’ancien urgentiste qui s’était avancé un peu trop loin dans son exploration des lieux.

Un mouvement brutal, sans le moindre avertissement, alors que les yeux de l’instructeur étaient toujours aussi fixement dirigés vers ceux de son élève. L’impact fut terrible, monstrueux, plus une once d’air ne véhicula à l’intérieur des poumons du jeune homme durant plusieurs secondes alors que la main de Burbank venait de percuter sa gorge. Il sentit son dos percuter le sol avant même qu’il ait eu le temps de comprendre qu’il tombait, le talon du combattant ayant scié ses appuis en un instant. Le choc, bien que douloureux, eût le mérite de lui faire reprendre son souffle. Le fou furieux en pantalon de kimono marcha tranquillement, les traits toujours figés dans une expression d’impassibilité totale. Il parla de nouveau d’un ton qui laissait supposer que c’était l’étape première de toutes les atrocités qu’il était apte à faire subir à un corps humain :

"Oubliez votre vie ! Oubliez tout ! Un nom peut amener à des homonymes, votre accent et votre démarche peuvent réduire le nombre de candidats à l’échelle mondiale. Mais le nom de jeune fille de votre mère ou votre ville de naissance indique directement votre identité !"

Il prit tranquillement une grande inspiration comme pour se calmer puis poursuivit mais d’une voix de plus en plus humaine et chaleureuse, comme si la leçon était finie :

"Si on connait votre identité on peut remonter le fil de votre vie jusqu’à comprendre où vous pouvez avoir caché du matériel et donc vous inculper. On peut aussi retrouver votre famille ou vos amours de jeunesse et les employer contre vous. Vous êtes là pour devenir un tueur professionnel, pas pour assumer une couverture du FBI ou une connerie du genre ! Vous m’entendez ? Une enquête a été faite sur vous par d’anciens assassins, on sait qu’on peut vous intégrer ! Mais vous devez comprendre où vous êtes ! A tout instant on peut vous tester… Vous comprenez ? Vous m’entendez bien ? Ne répondez plus aux questions de qui que ce soit ! Jamais ! Levez-vous… Vous voulez apprendre à vous battre, je peux vous apprendre… Vous préférez partir ? Vous avez le droit de préférer partir, un assassin n’est pas forcément un excellent combattant au corps à corps, certains n’approchent jamais personne au combat. Je peux comprendre, vous faîtes quoi ?"

Durant un bref instant passé dans le silence, l'instructeur se dirigea vers son haut de kimono qu'il enfila paisiblement avant de nouer une ceinture blanche autour de celui-ci. Le trentenaire remonta sur le tatami, puis il approcha tranquillement de l'urgentiste et posa sa main sur son col, il glissa ses doigts dans le pli de celui-ci avant de tout ramener calmement dans une poigne ferme pour finalement verrouiller son poing - et donc sa prise - avec le pouce. Il avait saisi Michael sans le moindre heurt, sans agressivité et le regardait dans les yeux avec à présent plus d'humanité dans le regard. Oui, Jeffrey Burbank avait cessé d'être cet être froid qui un peu plus tôt avait envoyer au tapis son élève, à présence c'était quelqu'un de plus appréciable, de plus sociable. Son regard c'était attendri, cependant son corps marqué de cicatrices et de tatouages restait aussi dur que l'acier. Sa poigne était particulièrement surprenante, à croire que son interlocuteur n'avait presque aucune chance de s'en échapper. L'instructeur parla alors d'une voix calme :

"Vous avez le droit à deux tentatives pour tenter de me faire lâcher prise, dix secondes en tout... Allez-y."

Lorsque les dix secondes furent passés, la poigne de fer se relâcha. Avec un sourire aux lèvres l’instructeur agita son bras comme quelqu’un qui se débarrasse de l’eau qu’il a sur les mains. Son regard était un peu dur, mais son sourire était pour le moins rassurant, finalement c’est sur le ton de quelqu’un d’amical qu’il prit la parole, la chaleur dans sa voix étant parfaitement en adéquation avec le sourire qui illuminait son visage.

"Ca pique un peu ton truc… Formation de médecine ? Acuponcteur peut-être ?"

Il avança brusquement alors qu’il avait à peine finie cette interrogation, saisissant brusquement le col de son élève avant de balayer ses appuis. L’accompagnant dans sa chute, contrairement à la première fois, il évita à Michael de subir le moindre mal. Puis, Jeffrey Burbank se redressa et recula tranquillement d’un pas.

"Cependant, tu ne peux te servir de ce genre de chose lorsque tu dois agir vite, la plupart des types qui te saisiront te cogneront dès que tu essaieras tes trucs de thérapeute."

Avec une certaine forme de tranquillité, il écarta les pans de son haut de kimono afin que ceux-ci soient plus accessibles. Le regard du tueur se posa paisiblement sur celui de son élève alors qu’il lui faisait signe de se relever et de s’approcher.

"Je vais te montrer une des innombrables méthodes qui feront lâcher quelqu’un. Saisis moi comme je l’ai fait."

L’instructeur attendit le temps nécessaire pour que le jeune homme daigne s’exécutait. Lorsque la main droite de Carlson fut en contact avec l’étoffe blanche, Jeffrey reprit la parole tout en levant le bras gauche bien haut.

"Tu n’auras pas besoin de faire un mouvement aussi ample avec le temps, mais au début mieux vaut que tu fasses comme ça. Avec la pratique, ça sera beaucoup plus concis."

Le membre gauche de Burbank décrivit un arc de cercle alors que le trentenaire pivotait d’un quart de tour sur sa droite. Le poignet de l’urgentiste se retrouva sous l’aisselle de son enseignant. Alors celui-ci posa sa main droite sur les doigts de son élève et les poussa vers le haut, effectuant une clef de poignet pour verrouiller le bras. Lorsqu’il s’éloigna tout en venant poser un genou au sol, l’instinct de Carlson le poussa à se jeter à plat ventre au sol pour soulager la tension qui manqua de faire céder son coude sur le coup.

"Tu as compris ou tu veux qu’on recommence ?"

"Bien entendu, passons à quelque chose de plus offensif dans ce cas !"

Il fit un petit signe de tête à son élève pour lui indiquer qu’il fallait se mettre en condition, être bien à l’écoute et à même de respecter les mouvements s’il lui demandait de les appliquer de nouveau. De toute évidence Jeffrey était heureux de l’initiative de son interlocuteur qui, bien que n’ayant pas l’air d’un bagarreur, prenait le temps d’apprendre de son instructeur. Burbank avait quelque chose d’humain, sans doute du fait de sa jeunesse. Les meurtrissures qui parcouraient son torse – encore nu quelques temps plus tôt – prouvait qu’il n’avait pas eu une vie très calme… A vrai dire sa présence en tant qu’instructeur dans l’Agence devait suffire à confirmer la thèse. Néanmoins, il avait quelque chose de particulièrement sociable en cet instant, il proposait un véritable échange à Michael. Il savait se battre, ça ne faisait aucun doute, cependant il était là pour enseigner et non pour se battre. Cette différence justifier sans doute le fait qu’il ne soit pas le responsable de la Section Combat.

"Imaginons que tu marches dans un couloir, dans une zone infiltrée. Là tu tombes sur ta cible, tu n’avais pas prévu ça et tu n’as donc pas d’arme et pas le temps de trouver un moyen de passer dans son dos… Marche vers moi."

Après avoir attendu que son élève se mette en mouvement, Burbank marcha à son tour dans le sens opposé. Lorsqu’il arriva juste en face de lui, il fit un pas rapide en avant pour qu’il n’ait pas le temps de l’esquivait comme on a l’habitude de le faire lorsqu’on croise quelqu’un qui nous approche de trop près. Dès que son pied fut ancré au sol, il passa sa jambe droite entre celles de Carlson, l’enroulant autour de la jambe gauche de celui-ci. Sa main droite se plaça sur son visage, la paume contre le nez, l’index sur l’œil droit, l’annulaire sur l’œil gauche. Il appuya en remontant, amenant en extension la tête de l’apprenti assassin ce qui entraîna inexorablement sa chute. Jeffrey le laissa reprendre ses esprits une fois au sol et reprit la parole.

"A partir de là, si tu agis vite pendant qu’il est encore étourdi, tu peux facilement lui briser la nuque. Je te montrerai un ou deux exercices pour travailler ce mouvement. Quoi qu’il en soit tu as un autre moyen. Tu croises tes bras, le coude gauche replié, posé contre sa pomme d’Adam. Au moment où tu tombes avec lui, tu ne retiens pas ton poids, ça lui écrase la trachée."

Il se releva ensuite et fit quelques bonds en arrière pour laisser de l’espace à l’élève.

"Maintenant tu vas me le faire, doucement. Je vais avancer vers toi et tu vas travailler."

Ils entamèrent alors une série de cinq répétitions.

Jeffrey hocha vivement la tête d’un air satisfait, bien que son élève ait eu l’air un peu ailleurs durant le dernier essai il semblait avoir bien compris le mouvement. L’instructeur le laissa donc tranquillement reprendre son souffle puis s’approcha de nouveau de lui. Lui tapotant sur l’épaule comme pour qu’ils se sentent plus proche l’un de l’autre il prit bientôt la parole :

"Apparemment le combat au corps à corps n’est pas ton premier objectif, mais quoi qu’il en soit tu fais des efforts. C’est une bonne chose. Si tu dois savoir une chose sur ce métier, c’est qu’il faut toujours apprendre. Que ce soit pour passer pour quelqu’un d’autre, pour parler ou pour agir… Il faut faire des efforts, apprendre, toujours apprendre ! C’est comme d’être sans cesse à l’écoute, parce qu’un jour peut-être que le type en face de toi sera d’Interpol, ou d’une police local. Ce sera peut-être le type qui te mettra en prison ou en terre… C’est l’une des raisons qui fait que tu dois savoir garder ton identité."