Mission TM-10-01 [Kane Holloway / Michael Carlson]

Le directeur Wallas entra dans la salle après les deux élèves qu’il avait fait venir pour cette mission. Une simple mission d’entraînement qui permettrait aux instructeurs de voir où se trouver le potentiel de leurs recrues et où étaient leurs plus grandes faiblesses. Quelque chose de contrôler en somme, pas un assassinat commandité ni même une activité qui puisse en quoi que ce soit être négative pour les affaires de l’agence. Après les avoir invité à s’asseoir à la table de briefing, il leur fit passer une feuille de papier sur laquelle étaient disponibles les informations suivantes :

Albert Adam Herr 50 ans Marié, deux enfants 62 Chemin du Carignan 06740 Chateauneuf-Grasse Ingénieur en mécanique automobile

Le responsable de la Section administrative prit tranquillement la parole une fois que ses hommes eurent pris connaissance des faits :

"Vous devez approcher cet homme, votre mission consistera à lui faire apprendre une phrase code. Votre mission sera réussie si, lorsque nous l’appellerons dans dix à vingt jours, il répond "Aux âmes zélées, gloire sourit." à la phrase "Paix sur ceux qui n’ont su cultiver l’envie de paraître."."

Il répéta deux fois de plus les phrases codées, puis termina par :

"A présent Messieurs, j’ai du travail qui m’attend, je vous prierai de quitter les lieux dans les cinq minutes qui vont suivre, merci."

Sur ce, il se leva et quitta l’endroit.

Kane observa d’un air hagard le gars qui venait de leur livrer leur mission. Non seulement il ne l’avait jamais vu, mais en plus de ça il n’avait jamais entendu parler de lui. Peut-être n’était-il pas assez attentif… Il faut dire que toute cette nouveauté le mettait un peu mal à l’aise bien que ça l’exalter tout particulièrement de sortir de son train-train parisien ! Il avait fuit l’obsession religieuse de son père pour se retrouver englouti dans la masse inféconde de l’urbanisme français. Et maintenant c’était la dynamique d’une Agence qui vouait sa profession à l’assassinat et à la formation d’assassin qui dirigeait sa vie. Autant dire qu’il avait un vécu pour le moins complexe sans pour autant être extraordinaire… Sauf sur la fin. La meilleure raison pour lui d’écrire son autobiographie, sauf qu’il n’aimait pas lire et qu’il se serait sans doute fait descendre s’il avait vendu cette histoire ! Ha la belle vie, ha la belle mort ! Enfin bon, pour le moment pas question de tuer mais plutôt de… Formater. Il fallait apprendre à un type une phrase code. Heu… Ca allait leur servir à quoi exactement tout ça ? Qu’est-ce qu’il y avait à comprendre ? Après quelques secondes d’incertitude il finit par se convaincre que ce devait être pour leur enseigner à ne pas se poser de question sur leur tâche ! Oui, ça devait être ça, leur faire faire quelque chose de débile pour qu’ils se disent : "je ne veux pas savoir pourquoi je tue, je veux seulement savoir comment je tue". Enfin c’était la seule chose à peu près logique qui lui venait à l’esprit. A voir l’expression de son collègue, il avait la même réflexion. Un petit sourire fragile aux lèvres, l’états-unien hocha la tête à l’attention de son interlocuteur avant de lui serrer la main. Pourvu qu’elle ne soit pas trop moite…

"Moi c’est Kane, enchanté… Anglophone ?"

Il avait envie de dire britannique mais il n’était pas certain de reconnaître les accents dans la langue de Molière. Autant s’il avait été en train de parler en anglais il l’aurait sans doute sut… A vrai dire Kane n’était pas très fier de son accent anglais… Trop caractéristique, on pouvait presque connaître son origine rien qu’en l’entendant. Heureusement la plupart des français ne décelaient qu’à peine son accent, depuis le temps qu’il était à Paris à ne parler que le français parce que les français sont particulièrement coincés en matière de linguistique… Oui, coincés c’était bien le mot. Alors voilà, deux anglophones partis pour livrer bataille contre… La géographie française !

"Je pense qu’un tour sur Google serait le bienvenue, non ?"

L’américain se demanda soudain si son acolyte avait un PC… Sans quoi il faudrait qu’ils s’en trouvent un ! Chateauneuf… Ca faisait très antique tout ça. Peut-être une ancienne cité médiévale ! Enfin bon, Dieu soit loué – si tant est qu’il existe, internet existait ! Ils auraient sans doute un grand nombre d’information via wikipédia ou mappy ! C’était ça le bonheur du vingt-et-unième siècle ! Ils auraient tout à disposition une fois qu’ils auraient trouvé un accès ! Et de nos jours c’était bien le diable de ne pas arriver à atteindre la toile… Le jeune Holloway se dirigea vers la porte et observa son compagnon d’arme. Histoire de savoir ce qu’il en pensait tout de même !

La question de son camarade était pour le moins sensée, et sa précision l’était encore plus ! Comment est-ce qu’ils allaient faire ? Allez donc savoir ! Quoi qu’il en soit, la rapidité d’internet leur offrit quelques rapides réponses… Des réponses pour le moins satisfaisante puisqu’en peu de temps ils apprirent bien des choses sur Châteauneuf-Grasse. Bien heureux de voir que son coéquipier avait un ordinateur, Kane observa avec lui tout ce que Google leur débita à ce sujet. Puis facilement ils trouvèrent via Mappy la gare la plus proche, puis via voyages-SNCF ils arrivèrent jusqu’à la "grande gare" la plus proche. A savoir Canne. Et bien ils allaient avoir le droit à un petit séjour au soleil. La côte d’Azur, dans un lieu qui semblait être aussi vieux que luxueux. La moyenne d’âge était sans doute au dessus de l’âge de notre cible. Et bien voilà qui avait le don de leur facilité la tâche. Après tout ils pouvaient parfaitement jouer deux demi-frères anglophones qui viennent faire leurs retrouvailles lors de vacances en France.

Ca expliquerait leurs différences, les choses qu’ils ne savaient pas l’un sur l’autre et bien entendu leur accent anglais qu’ils n’auraient plus besoin de masquer… A vrai dire pour ce qui était de Kane, il aurait peut-être même besoin de se forcer un peu, Paris l’avait avalé depuis si longtemps ! Face à cet ordinateur, les informations ne cessaient de défiler, ils avaient même des numéros de taxi proposés par la ville sur le cite internet de la municipalité. L’endroit avait l’air d’être plus actif culturellement que sportivement, chose pour le moins compréhensible lorsqu’on constatait que bon nombre des visages visibles sur les photographies étaient marqués par de nombreuses années. Un endroit fait pour les retraités à n’en pas douter, calme et sans histoires. Pourtant deux apprentis assassins allaient s’y engager pour une mission ordonnée par une Agence versée dans le monde de l’assassinat. Mais pourquoi tout ça ? Mieux valait changer de registre de question… Oui, plutôt que de se demander pourquoi ils devaient le faire, mieux valait se demander comment ils allaient le faire ! Et comment ? Après tout il se voyait mal accoster un inconnu pour lui sortir : "Lorsqu’une personne vous appellera pour vous dire "Paix sur ceux qui n’ont su cultiver l’envie de paraître." vous devrez répondre "Aux âmes zélées, gloire sourit.". Merci, au revoir, bonne journée, bonjour à la femme et aux enfants !"

Non mais sérieusement, autant cet objectif pouvait paraître débile, autant il était carrément tordu ! Ca allait se finir comment cette histoire ? A coup de matraques dans la tête pour faire peser une menace sur les jours prochains de ce bonhomme ? Non ! Ca aurait été stupide de faire ça, pourquoi enfreindre la loi lorsqu’on pouvait accomplir quelque chose qui n’était pas interdit ? Ca aurait été faire preuve d’un manque de prudence évident ! Kane sourit légèrement, son idée commençait à se préciser, mais soudain quelque chose le bloqua… Bien que ne faisant pas preuve d’une hostilité ouverte, son camarade était assez froid. Peut-être parce qu’il était plongé dans son statut d’étudiant en assassinat. Ou peut-être parce qu’il n’était pas tout à fait commode. L’américain n’en savait trop rien mais quoi qu’il en soit il prit bientôt la parole :

"Je pense qu’on peut y aller par train puis ensuite faire appel à un taxi. Avec un peu de chance les rumeurs courts vite par là-bas. On arrive en tant que deux membres d’une famille anglophone qui se sont séparés il y a bien une dizaine d’années et qui se retrouvent en allant sur la côte d’Azur. Avant même d’être entré dans une chambre d’hôtel pas mal de gens seront au courant et notre couverture sera en place. Il ne nous restera plus alors qu’à aller traîner du côté de la maison de notre gars avant qu’il parte au travail… On a au moins dix jours pour le convaincre après tout."

Il se tut soudain… Le stress lui avait fait déblatérer tout ça dans un anglais déformé par son accent texan, un accent qui était moins marqué que celui d’autres membres de sa famille mais qui était toujours présent. Il n’avait pas trop su comment exposer les choses à son interlocuteur, alors il avait tout lâcher d’un coup.

Kane suivit son coéquipier dans ses remarques, écoutant avec attention ce que celui-ci avait à lui répondre. De toute évidence la partie la plus ardue de la mission serait d’arriver à convaincre un ingénieur qu’il devait agir contre toute logique en répondant à une phrase code plutôt que de raccrocher lorsqu’on l’appellerait. Il voudrait savoir pourquoi il devait faire ça, il lui faudrait une raison, c’était certain. Le souci c’est qu’eux-mêmes ne savaient pas pourquoi il devrait faire ça, quelles en seraient les conséquences. A vrai dire plus il y pensait et plus Holloway se disait que ça n’aurait de conséquence que sur leur avenir dans l’Agence. En y repensant… "Paix sur ceux qui n’ont su cultiver l’envie de paraître." Ca sonnait comme une épitaphe. Ceux qui n’ont su cultiver l’envie de paraître, ça pouvait s’adresser à des personnes qui négligeaient leur apparence. Justement, peut-être était-ce là un indice après tout ? Il leur faudrait paraître… Mais paraître quoi ? "Aux âmes zélées, souvent gloire sourit." Un autre conseil peut-être ? Il fallait qu’ils soient zélés plutôt que parcimonieux. En ce cas c’était en étant assez directs qu’ils auraient une chance de réussir. Une idée vint à l’esprit de l’américain, une idée assez saugrenue pour qu’il ne l’ait pas considérée comme envisageable jusque là. Mais à présent il commençait à avoir des doutes à ce sujet. Après tout les gens qui sont les mieux placés sont souvent les plus crédules puisqu’ils se croient à l’abri du mensonge. Tant qu’on ne s’attaquait ni à l’argent, ni à la famille de cet homme alors il avait toutes les raisons de croire jusqu’à l’impossible. Ou pas… Il ne pouvait en être certain, il ne savait que trop peu de choses sur cet homme quoi qu’il en soit une chose restait certaine : Ils devaient agir. Kane prit de nouveau la parole :

"Pour louer une voiture il faut donner un permis de conduire et je ne tiens pas à ce que nos identités ne soient inscrites dans les comptes d’une entreprise… A défaut de nous faire prendre par la police, ça pourrait bien nous discrédités auprès de l’Agence. Je pense qu’on devrait accomplir cette mission comme s’il s’agissait d’un assassinat, en laissant le moins de traces."

Kane attendit les remarques de son interlocuteur tout en se demandant s’ils auraient besoin de prendre une chambre d’hôtel. Puis, il lâcha l’idée irréalisable qui lui avait soudain semblé envisageable :

"Et si on lui disait qu’on était des services secrets ? Un truc du genre : quelqu’un s’est planté en donnant un numéro, c’est vous que le terroriste va appeler, vous devrez impérativement répondre ça sans quoi l’opération est foutue. Et on ajoute que si on avait détourné l'appel, le gars s'en serait rendu compte. Et qu'on lui vole pas son portable parce qu'il aurait pu faire bloquer le numéro s'il s'en était rendu compte... A moins qu'ils ne l'appellent sur le fixe. Ca aurait été bon de le savoir aussi. Parce que si on lui sort qu'on lui a pas tiré son fixe, il va nous regarder bizarrement."

Kane observa son interlocuteur en silence pendant que celui-ci lui exposer son point de vue. De toute évidence ils n’étaient pas exactement sur la même longueur d’ondes. Non, vraiment il n’était pas d’accord avec ce qu’était en train de lui dire le britannique, il y avait là-dedans quelque chose qui ne le satisfaisait pas vraiment.

"Attends, attends… Ca signifierait qu’on serait capable de contacter le QG pour lui donner son numéro à lui pour qu’il l’appelle dans une semaine plutôt que de choisir une cabine téléphonique ou d’acheter un nouveau portable qui n’aurait aucun historique ? Au contraire, s’il n’y connait rien on peut lui faire croire que les terroristes sauraient que la ligne est déviée… Si ça se trouve c’est même possible sans que nous même nous le sachions. Et puis même, avec ton plan on n’aurait aucune chance de lui dire : ça ne peut être que vous ! On a besoin de quelqu’un pour recevoir un appel et c’est vous ! Je me dis que si on fait ça assez vite, dans le genre "on est juste les messagers on en sait pas plus", on peut arriver à ne pas citer son numéro de téléphone. Un truc du genre : "la DGSE nous envoie pour vous signalez que vous allez recevoir un appel codé, vous devrez répondre cette phrase-ci à cette phrase-là". Si on s’explique trop on perdra en crédibilité je pense, après tout des agents secrets ne passent pas leur vie à tout expliquer à des profanes."